La route des épices
Pour ce sujet que je souhaite partager avec vous, nous sommes à l'aube de la Renaissance. C'est le Moyen-Age tardif. Gênes et Venise sont à l'apogée de leur fortune. En Espagne, la Reconquista termine de chasser les Maures de la péninsule ibérique. C'est désormais dans ces contrées que les croisés vont se battre, de Terre Sainte il n'est plus question. Depuis 1453, Constantinople est tombée aux mains des Turcs ottomans. La route des épices est désormais le monopole de cartels musulmans qui font payer très cher les droits de douane.
Et pourtant, Dieu sait que l'Europe est friande de ces épices : poivre, girofle, cardamone et gingembre pour la cuisine, mais aussi parfums à base de musc, d'ambre, d'essence de rose. Sans oublier les baumes et les drogues dont rien que l'évocation du nom soulage les douleurs de l'homme du Moyen-Age : opium, cannelle, camphre, gomme arabique. Vient enfin l'encens, nécessaire au fonctionnement du culte et dont des milliards de grains brûlent en permanence dans les églises, sans qu'aucun des arbres produisant cette substance ne puisse pousser sur le sol européen.
Le poivre, cet aliment si simple que nous gaspillons si facilement aujourd'hui, se payait alors en équivalent d'argent : 1 gramme d'argent pour 1 gramme de poivre. Son cours en bourse est tel qu'il permet dans certaines villes de remplacer la monnaie : il permet d'acheter des terres, de payer une dot, d'acheter des droits de bourgeoisie. Ceci s'explique non seulement par la longueur du voyage que par les taxes à payer pour emprunter cette route.
Parties d'Inde ou d'Indonésie, les épices ne valent rien. Les poivriers poussent comme le chardon en Europe, le pavot comme les coquelicots. Il n'y a qu'à se baisser pour ramasser. Au port, des marchands musulmans achètent ce que les paysans veulent bien leur vendre. L'araignée a tissé sa toile : des Moluques à Malacca, aucun navire chrétien n'est autorisé à naviguer. Les navire font du cabotage jusqu'en Inde, où ils font le chargement d'autres ballots : cannelle, safran, gingembre.
Le sultan de Malabar y exige un tribut, ce n'est qu'une fois la taxe acquittée que le bateau peut charger sa cargaison et reprendre la mer. Ormuz, le golfe Persique, puis la mer Rouge. La traversée de ces mers tropicales ne sont pas seulement exténuantes pour l'équipage, elles sont également dangereuses. Les actes de piraterie sont nombreux car la cargaison est précieuse et, lorsque ce ne sont pas les pirates, ce sont les typhons qu'il faut éviter.
Arrive enfin la côte arabique ou la Perse. Il faut traverser les terres et le mode de transport n'y est ni moins cher, ni moins périlleux : les caravanes de chameaux attendent par dizaines dans les ports de transit. Leurs maitres hissent sur le dos des animaux les lourds chargements de muscade avant de s'engager dans l'océan de sable et de roche. La traversée des déserts dure plusieurs mois : Beyrouth, Bassora, Bagdad, puis enfin Damas ou le Caire, aux portes de la Méditerranée.
Ceux qui échappent aux raids des Bédouins doivent s'acquitter des taxes imposées par les brigands officiels : émirs du Hedjaz, sultans de Syrie et d'Egypte. Puis, ce sont les ultimes profiteurs : dans les ports d'Alexandrie ou de Tyr, les flottes de Gênes et de Venise se disputent le transport vers l'Europe. En fait, vers l'Europe, pas vraiment : vers la cité d'où la flotte est issue. Puis, ce sont des caravanes de marchands Allemands, Flamands ou Anglais qui achètent aux enchères les épices et leur font traverser les Alpes.
Le voyage aura pris deux ans, des terres tropicales à l'échoppe du détaillant. Quatre navire sur cinq auront coulé avec leur cargaison. Au XVème siècle, le prix des épices est si élevé que le moindre sac de poivre parvenu en Europe vaut infiniment plus que la vie d'un homme d'équipage. Ces gros profits suscitent inévitablement qu'on prenne des risques. La route de l'Orient est devenue si chère à emprunter que l'Espagne et le Portugal regardent maintenant vers l'ouest et vers le sud. On cherche désormais une autre route : Christophe Colomb, Bartholomeu Diaz, Vasco de Gama, Magellan ouvriront la porte d'un nouveau monde, d'une renaissance de l'Europe.
Le monde connu au XVème siècle
Cette carte que je vous propose nous permet de constater plusieurs choses : premièrement, Zanzibar, où les marchands musulmans allaient chercher le gimgembre, et les Moluques, où ils allaient chercher la girofle, étaient connues mais non localisées sur les cartes de géographies.
Deuxièmement, nous voyons que tout le bassin méditerranéen, route la plus courte pour le transport des épices, est sous le contrôle des pays musulmans. Je vous ai ajouté le voyage de Marco Polo, qui suit notamment la route de la soie, voie par laquelle l'Islam va se propager en Asie, pour revenir par la route des épices. Au Moyen-Age, la côte de Malabar (Inde), une partie de l'Indonésie et une de l'Afrique de l'est disposent de sultanats, ce qui laisse supposer que les chefs tribaux ont alors accepté de se mettre sous la protection des califes musulmans.
Enfin, les européens sont à la recherche du "royaume du prêtre Jean", un pays chrétien non encore localisé, mais supposé dans l'est de l'Afrique ou en Inde (l'Ethiopie en réalité). Ce royaume sera découvert par des explorateurs portugais peu de temps avant le voyage de Vasco de Gama. Malheureusement, sa puissance est bien trop affaiblie pour venir contre-balancer le monopole des pays musulman sur le trafic des épices.
Bibliographie & Internetographie
- Magellan, Stefan Zweig, ed. Grasset, 2003
- De l'or et des épices : Naissance de l'homme d'affaires au Moyen Age, Jean Favier, ed. Hachette, 2004
- Atlas d'Andrea Bianco (1436) et mappemonde de Fra Mauro (1459)
- Prix au Moyen Âge (ordre chronologique), Fabrice Mrugala, 2010