Les procés en sorcellerie
En Europe, à partir du XIIe siècle, l’Église catholique se lance une chasse aux pratiques magiques (sorcellerie). C'est le concile du Latran IV (1215) qui marque le début de la chasse aux sorcières. Parmi les décisions prises par le concile, la lutte contre les hérésies établit des tribunaux ecclésiastiques, embryon de la future inquisition.
Marguerite Porete
La lutte contre les hérésies commence par la traque des sectes chrétiennes jugées trop libérales, comme les Cathares et les Vaudois, puis d'autres courants religieux seront déclarés hérétiques.
Parmi ces chrétiens que l'Eglise considère comme trop libéraux se trouve ceux faisant parie du mouvement des béguins. Ce courant de piété très actif en Flandres rassemble dans une communauté semi-monastique des hommes et des femmes, partageant une vie spirituelle et sociale, mais sans avoir à prononcer de voeux comme la pauvreté ou la chasteté.
Marguerite Porete vivait dans le Comté de Hainaut, sans doute à Valenciennes. Béguine du XIIIe siècle, elle manifeste en faveur de ces petites communautés, nommées béguinages, et publie un livre intitulé Le Miroir des âmes simples anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'amour, où elle traite du fonctionnement de l'Amour divin et de la Raison humaine.
Pour l'Eglise, ce livre était un acte d'hérésie. Ecrit en vieux français à une époque où le latin était la langue obligée pour la littérature religieuse, et qui plus est par une femme laïque, c'était remettre en cause deux fondements de la société médiévale : l'Eglise, par le refus de respecter l'autorité papale, et l'Université, parce que Marguerite Porete ne pouvait être instruite.
Gui II, évêque de Cambrai, fait brûler en 1305 un exemplaire du Miroir, sur la grand'place de Valenciennes, car composé en Flandre et hérétique. Mais Marguerite Porete persiste dans son combat et présente son ouvrage à l'évêque de Châlons. Le livre est à nouveau brûlé en 1306, puis en 1309.
Finalement, Marguerite Porete est arrêtée et condamnée par l'inquisiteur dominicain Guillaume de Paris, secondé par le franciscain Nicolas de Lyre, le 31 mai 1310. C'est un collège de trois évêques, experts en théologie, qui rédige le verdict. Marguerite Porete est condamnée au bûcher le 1er juin 1310 en place de Grève à Paris avec son livre.
Macète et la Cordière
Le cas de Marguerite Porete peut cependant difficilement être interprété comme un cas avéré de sorcellerie. C'est par la bulle Super Illius Specula, vers 1326, que le pape Jean XXII classe la sorcellerie parmi les hérésies.
Le 29 octobre 1390, au Châtelet à Paris, s'ouvre le premier procès en sorcellerie de France. Sur le banc des accusés, Jeanne de Brigue, dite la Cordière, puis viendra une seconde femme nommée Macète. Jeanne de Brigue, paysanne sans fortune, avait, dans les villages de Brie, la réputation d'avoir un don pour retrouver les objets perdus, d'indiquer les voleurs de ceux qui avaient été dérobés, de guérir les malades et, au besoin, de rendre malades ceux qui se portent bien.
A Villeneuve-Saint-Denis, dans une hôtellerie, elle avait fait retrouver une tasse en argent. L'hôtelier accusait sa femme d'avoir soustrait cette tasse pour la donner à quelqu'un de ses galants. Jeanne fit connaître la voleuse — c'était une chambrière du voisinage — et le lieu où la tasse était cachée : on la retrouva en effet en ce lieu.
A Guérart, on avait dérobé une forte somme d'argent au curé, ainsi qu'une croix à son église. Le curé demande les services de Jeanne qui prétendit qu'un notaire de Meaux avait reçu seize francs pour étouffer l'affaire. Quelque temps après, la croix fut rapportée.
L'autorité ecclésiastique commença à s'inquiéter des succès de "la Cordière". Elle fut alors arrêtée et enfermée dans la prison de l'évêque de Meaux pendant une année. Après l'avoir fait comparaître devant lui et défendu de continuer ses pratiques de divination, l'évêque la fit remettre en liberté.
A Guérart, Hennequin de Ruilly semble avoir été un personnage assez important. Il avait rencontré Macette et decida de l'épouser. Ce mariage fut célébré à Paris, dans l'église Saint Pierre-aux-Boeufs. Mais ce mariage ne fut pas très heureux : Macette avait des tendances à l'infidélité tandis qu'Hennequin la battait. Quatre ou cinq ans après leur mariage, Hennequin tomba gravement malade.
Lucette, mère d'Hennequin, partit alors chercher Jeanne de Brigue pour lui demander de venir voir son fils et, par ses connaissances "spéciales", de lui rendre la santé, ce que "la Cordière" accepta de faire.
Mais Jeanne allait rencontrer chez Hennequin quelqu'un aussi occupé qu'elle par les sortilèges et les enchantements : Macette. Les deux femmes s'entretinrent à part et Macette informa Jeanne de ce qui se passait. Mais elle lui demanda, si Hennequin lui demandait les causes de sa maladie, de dire qu'il avait été envoûté par Gilette la Verrière, une précédente relation de son mari de laquelle il y avait déjà eu deux enfants.
Dans une seconde visite, Jeanne apprit comme Macette avait envoûté son mari : dans une petite poêle, de forme ronde, elle avait mis de la cire vierge et de la poix mélangées. Lorsqu'elle voulait que son mari se sente mal, elle plaçait la poêle sur le feu, remuait la cire et la poix avec une cuiller et aussitôt Hennequin se sentait le corps entier comme traversé d'une foule d'aiguilles.
Mais ce n'était pas tout : elle avait dans sa chambre, dans un pot de terre, un ou deux crapauds qu'elle nourrissait de lait de femme ; le jour où elle voudrait que l'état de son mari se ternisse, elle n'aurait, à l'aide d'une longue pointe, qu'à piquer ces animaux et la chair d'Hennequin ressentirait toutes les douleurs qu'elle aurait infligées aux crapauds.
C'est pendant son adolescence que Macette disait avoir été initiée à la sorcellerie. Elle avait appelé par trois fois le diable pour lui demander de mettre son mari dans un tel état qu'il ne pourrait plus la battre. Pendant qu'elle appelait le diable, elle tenait dans ses mains la cire vierge et la poix, , sur lesquelles elle avait récité trois fois l'Evangile de saint Jean, trois fois le Pater et trois fois l'Ave Maria
Elle avait ensuite fait le mélange de la cire et de la poix, appelé de nouveau Lucifer à son aide et redit trois fois l'Évangile, le Pater et l'Ave. Alors, elle avait façonné le mélange en forme de visage humain, tracé à la surface trois croix à l'aide de la pointe d'un couteau, avait mis le visage avec de l'eau dans la poêle et l'avait fait chauffer, le piquant parfois de son couteau, tout cela mélangé d'invocations et de prières. Chaque fois qu'elle voulait mettre à mal son mari, il fallait qu'elle recommençât toutes ces cérémonies.
Quant aux crapauds, elle les avait cherchés dans son jardin, un jour que les piqûres dans le visage de cire avaient été impuissantes à l'empêcher d'être battue... Toujours avec des invocations au diable et des prières, s'étant recouvert la main d'un gant, elle avait saisi les crapauds par le pied, les avait introduits chacun dans un pot, avait placé une tuile sur chaque pot et les avait installés dans sa chambre, au pied du lit conjugal. Par les nourrices du village, elle avait du lait de femme ; le mêlant à du lait de vache et à de la mie de pain, elle faisait vivre de la sorte les deux animaux.
A plusieurs reprises et à plusieurs jours différents, Macette et Jeanne firent ensemble l'expérience de la cire et de la poix. Soit qu'elle craignît les suites de toute cette aventure, soit qu'elle prît au sérieux la mission qui lui avait été confiée de guérir Hennequin, Jeanne conseilla à Macette de renoncer à ses enchantements, ce que Macette fit en détruisant le visage de cire et jeté les crapauds.
Alors qu'Hennequin commençait à se sentir mieux, Jeanne s'émerveilla de la puissance de Macette. Dans une relation de confiance analogue, Jeanne avoua à Macette qu'elle avait plusieurs enfant d'un homme qui refusait absolument de l'épouser. Macette n'avait pas seulement le moyen de rendre les gens malades : elle savait les décider au mariage, également par la poix, la cire et les crapauds.
"Puisque tu aimes tant ton ami, répondit Macette, je t'apprendrai et te montrerai la manière comment, avant qu'il soit quinze jours, qu'il le veuille ou non, il t'épousera". Pour cela, il fallait que Jeanne fasse fondre de la cire dans une poêle et, quand son ami dormirait, lui en frotter doucement entre les épaules. Cette opération était à répéter pendant neuf jours.
Si, après ces neuf jours, elle n'était pas épousée, Macette lui fournirait un crapaud : elle piquerait ce crapaud, recueillerait son venin, mettrait ce venin dans la poêle et le ferait frire avec la cire et la poix ; elle ferait enfin discrètement manger le mélange à son ami.
Mais Jeanne n'eut pas le temps de tester ce sortilège. Deux nuits après avoir commencé à répandre de la cire entre les épaules de son ami, la guérison d'Hennequin avait attiré l'attention. "La Cordière" fut arrêtée et conduite à la prison du Châtelet. Le premier interrogatoire de Jeanne de Brigue a lieu le 29 octobre 1390.
Le procès est long. Jeanne, par le serment qu'elle a prêté, ne trahit pas Macette. Tout ce qu'on lui reproche, des objets retrouvés à la guerison d'Hennequin, elle prétent l'avoir fait avec l'aide d'un diable, appelé Haussibut qui, à son appel et moyennant diverses cérémonies, se met à son service. Sa marraine lui a appris, dit-elle, à évoquer ce personnage de l'autre monde.
Le 9 février 1391, Jeanne de Brigue est condamnée à périr par le feu. Mais les juges ne se contentent pas de l'histoire d'Haussibut. Après avoir soumis Jeanne à la question, ils réussissent à obtenir le nom de Macette.
Le premier interrogatoire de Macette a lieu me 4 août 1391. Celle-ci réfute alors toutes les accusations qu'on lui porte et affirme n'avoir jamais fait la moindre invocation ou n'avoir jamais ensorcelé son mari. Soumise elle aussi à la question, elle avoue tout. Le 5 août, elle est condamnée à mort dans les mêmes conditions que Jeanne.
Jeanne et Macette sont conduite le 19 août 1391 de la prison du Châtelet aux Halles, la tête couverte d'une mitre, où elles sont mises au pilori. Puis on les conduit au marché aux pourceaux (aujourd'hui disparu, mais proche des rues Saint-Honoré, Saint-Roch et des Petits-Champs) pour être brûlées vives. Pendant près de trois siècles, la conclusion de ce procès fait jurisprudence auprès des tribunaux pour les affaires de sorcellerie.
Comme Jeanne de Brigue allait être brûlée, elle ajouta cette dernière confession : pendant la durée de son emprisonnement au Chàtelet, une tasse d'argent fut volée au geôlier. Connaissant pourquoi elle avait été arrêtée, tout le monde s'adressa aussitôt à elle pour la retrouver. Voyant cela, le voleur, un petit valet de la geôle, vint la supplier de ne pas révéler son méfait dont, pensait-il, elle le savait assurément l'auteur, grâce à sa science de toutes choses...
Définition des pratiques illicites
La bulle Super illius specula (1326 ou 1327) énonce pour la première fois que certaines pratiques magiques (fabrication d'images, d'anneaux ou de miroirs) dérivent directement de l'invocation des démons et que, de fait, les personnes qui se livrent à de tels actes encourent les peines réservées aux hérétiques. Par cette bulle, le pape Jean XXII interdit la pratique de la magie et des savoirs qui lui sont associés, comme les sortilèges, l'astrologie ou l'alchimie.
L'hérésie n'est plus alors seulement un problème d'opinion ou de croyance erronée, comme ça l'était au siècle précédent pour l'hérésie Cathare (concile du Latran IV en 1215). Désormais, l'inquisition et les démonologues doivent également veiller aux actes de chaque chrétien : les démons disposent d'un nouveau moyen d'action dans le monde matériel en entrant en relation avec des hommes et des femmes avec lesquelles ils concluent un pacte.
Sources :
- Martine Ostorero, «Alain Boureau, Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans l'Occident médiéval (1280-1330)», Médiévales, 48 (2005), http://medievales.revues.org/document1087.html