EXPLORER L'HISTOIRE

La première guerre mondiale : de Napoléon à Vauban

Après sa défaite de 1870, l'armée française fait le bilan et réinvente ses doctrines militaires. La guerre moderne, imaginée et enseignée à l'Ecole supérieure de guerre à partir de la fin des années 1880, marquera une génération d'officiers de la première guerre mondiale. Bien que certains d'entre eux doutent déjà de la pertinence de ces préceptes face au développement de l'artillerie et de la mitrailleuse, cette culture militaire, héritière de Vauban et Napoléon, est le creuset dans lequel toutes les grandes offensives de 1914 et 1915 seront imaginées.

L'offensive à outrance
La doctrine de l'offensive à outrance, souvent tenue responsable des hécatombes de la première guerre mondiale, n'est cependant pas synonyme dans l'esprit de l'Etat-Major français d'attaques à tout-va sans prise en compte des pertes. C'est principalement la stratégie qui se veut offensive, dans la droite lignée des grandes victoires de l'armée napoléonienne.

De sa défaite de 1870, la France conserve le souvenir qu'elle n'a pu enrailler le flot des armées allemandes car la mobilisation de celle-ci reposait sur un réseau ferroviaire bien développé. La technique militaire napoléonienne – engagement d'avant-garde, combat d'usure, attaque décisive puis poursuite – étaient devenue obsolète par la capacité de l'adversaire d'engager plus rapidement en première ligne ses réserves.

L'offensive à outrance vise donc à frapper l'adversaire ailleurs : sur sa capacité de manœuvre. Dans une guerre qui s'annonce de plus en plus industrielle, celui qui parvient à conserver l'initiative des opérations gagne un puissant avantage moral sur son adversaire, comme l'indique le général Ardant du Picq, dans La guerre moderne : "à puissance égale de destruction, […] celui-là l'emporte qui sait, par sa résolution, marcher en avant ; par des dispositions, des mouvements de troupe, faire planer sur son adversaire une menace nouvelle d'action matérielle, prendre, en un mot, l'ascendant de l'action morale."

Avec une stratégie volontairement très offensive, l'armée française souhaite contraindre l'armée adverse à ne pouvoir agir qu'en réaction. Les doctrines militaires traditionnelles alors en vigueur en Allemagne, tirées des écrits de Clausewitz et de Willisen, impliquent que les combats soient étudiés et organisés à l'avance, en veillant aux lignes de communication et à l'exploitation des succès tactiques.

L'offensive à outrance est une doctrine exactement contraire : l'attaque est un but en soit, l'impétuosité des troupes doit empêcher l'adversaire de planifier l'engagement de ses réserves et de tirer parti de ses succès tactiques. C'est un combat d'usure, dans la tradition napoléonienne, mais à grande échelle et qui contraint l'adversaire à engager toujours plus de réserves pour contrer quelques coups d'éclats isolés.


Un concept difficile à mettre en œuvre
Comme une répétition générale des épreuves qui vont marquer les hommes pendant la première guerre mondiale, les guerres balkaniques (1912-1913) vont montrer la difficulté de dépasser le stade de la guerre de position. Les moyens engagés, artillerie et mitrailleuses, entraînent les protagonistes à renforcer leurs positions défensives dès un objectif atteint. Il devient dès lors impossible de les déloger sans subir de pertes élevées.

Il faut comprendre qu'en l'espace d'un demi-siècle, d'armes prévues pour un feu de salve, les armées se voient équipées de fusils de plus en plus précis ; l'artillerie emploie désormais des obus à balles ou à fragmentation, dont les éclats sont capables de trancher un homme en deux ; des pièces de plus en plus monstrueuses sont élaborées et, alors que le calibre de 121mm est le plus fréquemment rencontré en 1850, les pièces de 320 et 370mm font leur apparition en 1879. Le fil de fer barbelé, invention qui sauvera nombre de cultures agricoles dans l'Ouest américain, apparaît en 1874 et son emploi, notamment militaire, se propagera vers 1880.

Face à ces innovations, des trois armes qui composent le champ de bataille, l'une, la cavalerie, n'est dors et déjà plus qu'un reliquat du passé que seules de nobles traditions continuent à maintenir. Pour la seconde, l'infanterie, se pose la question de réviser son emploi tactique : il est devenu plus facile de défendre une position que de l'attaquer. Aussi, pour appliquer sa stratégie d'offensive à outrance, l'armée française doit mener une campagne rapide et contraindre son adversaire à la guerre de mouvement.

Mais, à la veille de la Grande Guerre, il manque à la France un élément important à l'élaboration d'une stratégie aussi offensive que celle de la Prusse de 1870 : un réseau ferroviaire capable de mobiliser rapidement les réserves du territoire. Il faut donc développer celui-ci et, en attendant, l'Etat-Major français doit se contenter au début du vingtième siècle des plans XIV à XVI : en cas d'agression, une ligne de défense continue le long de la frontière franco-allemande, puis franco-belge, doit permettre l'emploi de toute la puissance de feu pour contrer les mouvements de l'armée allemande.

A partir de 1880, le gouvernement décide la construction de lignes de chemin de fer pour relier préfectures et sous-préfectures à la capitale. A partir de 1900, ce sont des réseaux secondaires qui permettront le raccordement des chefs lieux de canton. Lorsque le maréchal Joffre accepte en 1911 le plan XVII, celui-ci est une demi-mesure de "l'offensive à outrance" : le réseau ferroviaire secondaire encore en construction, Foch propose de conserver une ligne de défense continue le long de la frontière belge, mais de mobiliser les ressources pour passer à l'offensive en Alsace et en Lorraine.



L'héritage de Vauban
En 1908, Jean Jaurès annoncera, en épitaphe de l'échec de la campagne de 1870 : "les généraux avaient du courage, quelques uns même de la culture et de l'esprit, mais ils n'avaient aucune doctrine commune sur la guerre ; ils semblaient ignorer les méthodes les plus essentielles (…). Un système d'idée commune sur la conduite des grandes opérations aurait pu corriger un peu cette dispersion des consciences. Mais ce système leur faisait défaut. En fait, paralysés par le désordre de leur armée, par leur ignorance de la grande guerre, ils n'eurent même pas ces qualités d'initiative, d'audace et d'élan qui semblaient jusque-là les caractéristiques de la race française." Désormais, la culture de l'Etat-Major français est et l'armée française est prête à reprendre les armes.

L'année 1914 est caractérisée par une guerre de mouvement où chacun des protagonistes tente de conserver l'initiative. Si l'armée allemande dispose d'une capacité de mobilisation inattendue par les Français, ceux-ci parviendront à rivaliser d'ingéniosité pour combler leurs lacunes et passer à la contre-offensive. En octobre 1914, l'Etat-Major allemand doit constater l'échec du plan Schlieffen et, afin de contrer la mobilisation de l'armée russe à l'Est, prépare ses troupes à passer à une stratégie clairement défensive.

Pour l'armée française, on peut estimer que la doctrine d'offensive a outrance a empêché l'encerclement de Paris et la stabilisation du front sur la Meuse plutôt que la Seine. Mais désormais, l'armée Allemande campe sur ses positions et il va falloir avoir recours à l'expérience d'un grand stratège que l'on n'avait plus étudié depuis des siècles. Dans son Traité des Sièges et de l'Attaque des Places, Vauban enseigne ce qui sera la base de la tactique militaire de 1915 : lorsque les Français chargent les tranchées allemandes, ils appliquent scrupuleusement des leçons enseignées deux cents ans plus tôt. Dans son chapitre "Prise du chemin couvert", Vauban explique :

"[...] après avoir bien achevé et muni abondamment la troisième ligne d'outils, sacs à terre, gabions et fascines, on fait commander huit ou dix compagnies de grenadiers [...] que l'on joint à ceux de la tranchée avec d'autres détachements de fusiliers [...].
Quelque temps avant cela, on doit avoir averti les batteries de canons, bombes et pierriers de se tenir prêtes, et de ce qu'elles ont à faire, comme aussi du temps qu'on attaquera, afin qu'elle se mettent en état de même que les autres postes de la tranchée qui doivent concourir à l'action, et quant tout est prêt et l'heure venue, on donne le signal, ce qui se fait par une certaine quantité de coups de canon ou de bombes, desquelles les trois ou quatre dernières traînent un peu, afin de donner le temps aux troupes de se développer et quand le dernier coup a fini le signal, tous les gens commandés passent brusquement par dessus le parapet de la place d'armes, marchent à grands pas au chemin couvert, qu'ils enveloppent de tous côtés, et entrant dedans par les ouvertures, chargent tout ce qu'ils rencontrent et chassent l'ennemi hors du dit chemin couvert, pendant que les ingénieurs établissent promptement les travailleurs sur le haut de son parapet, qui ne sont pas plutôt arrangés qu'on leur fait incessamment servir des sacs à terre et des fascines par d'autres.
On rappelle presque à même temps les troupes qui ont chargé, lesquelles se viennent rallier derrière les travailleurs, où elles restent, genou en terre, jusqu'à ce que le logement soit en état de les couvrir."

Les similitudes avec les tactiques militaires employées pendant la première guerre mondiale sont flagrantes : préparation d'artillerie, envoi de troupes d'infanterie, accompagnées de grenadiers, pour nettoyer le "chemin couvert" (la tranchée adverse), puis consolidation et "retournement" de la tranchée pour établir une nouvelle ligne de défense.


Sources :
  • La guerre des chars (1916-1918), Henri Ortholan, ed. grand livre du mois, 2008
  • Traité des Sièges et de l'Attaque des Places, Maréchal de Vauban, ed. 1828





01/04/2011
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