La naissance de la guerre industrielle
Je vous propose d'avoir une réflexion sur l'impact que la seconde révolution industrielle a eu sur la façon de faire la guerre. Je commence par des exemples tirés de l'histoire du XIXème siècle, puis je termine sur le XXème, mais uniquement pour mettre en évidence l'aboutissement du processus et le passage à une autre phase.
Alors que jusqu'à l'époque napoléonienne la victoire tenait du génie à savoir mobiliser suffisamment de ressources humaines et à l'exploiter au mieux de ses possibilités, en tenant compte des contraintes liées au champ de bataille et aux aspects logistiques de la campagne, la révolution industrielle va changer l'aspect du champ de bataille : désormais, la lutte se fera également sur la qualité et la quantité du matériel à disposition.
L'apport de la révolution industrielle à la guerre de sécession
La guerre civile américaine, ou guerre de sécession, met en évidence ce changement. Elle est le premier conflit dans lequel les deux camps auront un souci permanent d'innovation dans l'armement. Les nouvelles armes développées entre 1861 et 1864 (armes à tir rapide, canons rayés, amélioration de l'artillerie) apportent la possibilité de nouvelles tactiques, de revoir la configuration des armées, alors que les nouveaux moyens de communication et de transport (notamment les voies ferrées et le télégraphe) offrent de nouvelles possibilités stratégiques, surtout sur un champ d'opération aussi vaste que l'Amérique du Nord.
Les combats se déroulent de façon ininterrompue pendant quatre ans, des millions d'hommes sont engagés sur la quasi-totalité d'un continent. C'est une première guerre totale : on cherche non pas à s'emparer d'objectifs stratégiques, mais à attaquer son potentiel militaire, réduire sa capacité de combat, lui retirer toute volonté de vaincre. On cherche à épuiser toutes ses ressources pour obtenir une reddition sans conditions.
Les conséquences de la guerre de 1870
A la même période, emprunte des succès passés (conquête de l'Algérie, campagnes d'Italie et de Crimée) et malgré l'arrivée de quelques innovation techniques, l'armée française n'a pas su se moderniser : elle dispose toujours d'antiques canons en bronze qui se chargent par la bouche, elle n'a préparé aucune tactique d'emploi de ses mitrailleuses, la conscription fonctionne mal et les hommes, à tous les niveaux de la hiérarchie, sont mal préparés.
Lorsque la guerre franco-prussienne éclate en 1870, la France a conservé à l'esprit le mythe des officiers de l'épopée napoléonnienne, qui combat au sein de ses hommes. Napoléon III commande lui-même en personne. En un mois de campagne, plusieurs dizaines de généraux français se retrouvent ainsi blessés ou tués. A contrario, la Prusse connaît une victoire rapide en grande partie car son Etat-Major s'est "professionnalisé" : une véritable bureaucratie militaire lui permet d'élaborer, loin des lignes, une stratégique à long terme, avec des plans de bataille simples et clairs. Cette stratégie s'appuie notamment sur l'avance technologique dont dispose le pays et sur l'emploi du chemin de fer pour acheminer sa logistique.
Ce n'est qu'après la guerre de 1870 que l'Europe prend conscience de l'impact de la révolution industrielle sur la conduite de la guerre. La jeune IIIème République Française se voit contrainte à repenser son armée et son armement. Pour cela, elle décide de mettre fin à une mesure datant de l'Ancien Régime : le monopole d'Etat sur la fabrication et le commerce des armes. L'industrie de l'armement prend alors un nouvel essor, lançant les différents protagonistes européens dans la première course à l'armement, avec une augmentation des effectifs combattants et des arsenaux à disposition.
Plus jamais ça !
Lorsque la première guerre mondiale éclate, tous les observateurs sont impressionnés par sa violence inouïe. La capacité de destruction des armes était devenue si considérable que les formations rigides des armées étaient incapables d'en supporter les pertes. Les tactiques offensives se voyaient vouées à l'échec, contraignant les armées à adopter une attitude défensive et à toujours déverser sur le champ de bataille plus d'hommes et de matériel.
L'enlisement du conflit demanda aux Etats-Majors d'adapter leurs méthodes de combat aux nouvelles contraintes qu'amenait l'industrialisation. Les nouvelles unités d'assaut, à l'organisation plus souple, permettait certes de réduire les pertes en homme, mais la guerre de matériel était devenu un but en soi : l'Allemagne se lance dans une guerre sous-marine à outrance, visant à priver le front de l'arrivée de renforts provenant d'outre-Atlantique. En France, Pétain "attend les chars et les Américains".
Des tanks produits à la chaîne
Le premier char d'assaut à connaître un réel succès sur le champ de bataille est le FT-17, produit dans les usines Renault. Jusqu'alors, les premiers tanks étaient des conceptions héritées des idées de landship du siècle précédent : ils étaient lourds, peu rapides, difficiles à produire. Comme pour les pièces d'artillerie, leur fabrication était reléguée aux usines sidérurgiques, comme celles de Schneider et Saint-Chamond pour la France. Plus léger et plus facile de construction, le FT-17 peut être produit à grande échelle dans des ateliers d'assemblage automobiles.
Alors qu'en 1917, la France n'assemble qu'environ 800 blindés, l'introduction du char Renault permet de faire passer la production à 4000 unités. Dans le même temps, la production britannique stagne aux alentours des 1300 - 1400 unités.
Ce principe de production en série fera le succès d'un autre modèle de char lors de la seconde guerre mondiale. En 1944, alors que l'Allemagne dispose des blindés les plus performants, tels les Panzer V Panther ou VI Tiger, les Etats-Unis produisaient un modèle moins performant, le Sherman M1, mais à un coût moindre et dans des quantités incomparables, condamnant l'armée allemande à l'écrasement.
Conclusions
La débauche de moyens industriels entraîne la formation de super-puissances, contre lesquelles les pays mineurs ont toutes les peines à s'imposer. C'est pour tenter de rétablir l'équilibre que s'impose la volonté de négociation, avec la création de l'ONU, et la pratique du conflit asymétrique.
Sources :