EXPLORER L'HISTOIRE

Les épices du Moyen-Age

La cannelle

La Bible est le texte le plus ancien faisant mention de la cannelle. On retrouve cette épice comme composante des onguents nécessaire à l'embaumement des morts en Egypte ancienne, sous la dynastie ptolémaïque. Pour l'homme du Moyen-Age, sa provenance est encore mystérieuse. Les écrits d'Hérodote sont la seule source permettant de se faire une idée sur l'origine de la cannelle : ces bâtonnets seraient en réalité des brindilles ramassées par des oiseaux géants, qui les utilisent pour faire leur nid.

Ces légendes justifient l'attrait de la bourgeoisie et les prix de vente. La cannelle provient alors de la pointe de la Somalie, de la côte de Malabar ou de Ceylan. On la vent au prix de 1,5kg d'argent pour 100 grammes de cannelle*. Les européens du Moyen-Age apprécient fortement la cannelle, non seulement pour masquer le goût des viandes faisandées, mais aussi parce qu'à un tel prix, elle est un signe de puissance et de richesse.

Les Arabes, puis les Vénitiens importent la cannelle en Europe, où son emploi ne se répend qu'à partir du XIIIème siècle.

* A titre de comparaison, un flacon en verre de 40g de cannelle moulue (du genre de celui "qui se décarcasse") est actuellement vendu moins de 2,50€, soit 6,25€ les 100g. 1,5Kg d'argent vaut aujourd'hui à environ 2000€.

 

Le poivre

Avec les croisades, les Génois rendent à l'Europe le goût du poivre, dont l'usage était connu depuis l'antiquité. Alors que la demande s'accroit progressivement en Europe du XIème au XVème siècle, l'offre stagne. A la veille de la Renaissance, on estime que le prix de la denrée est multiplié par trente lors de son voyage des les Moluques ou de l'Inde jusqu'à Venise.

Plusieurs expressions naissent à cette période autour du prix du poivre, par exemple "cher comme poivre" ou encore le péjoratif "sac à poivre" (pour médire de quelqu'un de riche). Dans un monde où l'argent et l'or sont des métaux rares, le poivre constitue une monnaie d'échange : on peut l'utiliser pour payer des dettes ou des impôts, voire fixer une rançon ou offrir en cadeau. Ainsi, les comtes de Provence levaient un impôt sur le poivre. Une taxe sur le poivre est instaurée à Londres en 1305 pour réparer le pont sur la Tamise.

Les grains de poivre valent alors leur équivalent en poids d'or : une livre de poivre (327g) pour une livre d'or (au cours actuel de la bourse, cela représente environ 12000€). Cette flambée des cours du poivre entraine nombre d'aventuriers en quête d'une route moins honéreuse : Colomb, Vasco de Gama étaient animés par l'envie de réorganiser le commerce du poivre. En 1502, le lendemain du retour de Vasco de Gama, les prix du poivre baissent de moitié.

 

Le gingembre

Marco Polo et Jean de Montecorvino sont les premiers à décrire la culture du gingembre en Inde et en Chine à la fin du XIIIème siècle. La Chine ancienne en connaît l'usage bien avant que Confucius ne le cite dans ses écrits. En Europe, c'est l'une des premières épices importée par les marchands phéniciens. Elle sert à l'embaumement des morts de l'Egypte antique.

Comme la cannelle ou le poivre, l'origine du gingembre est un secret bien gardé. Les Grecs pensaient qu'il s'agissait de la racine du poivrier, ce que Pline l'ancien dément. C'est dans les forêts du sud-est asiatique, et notamment dans les Moluques, qu'il faut rechercher l'origine de ce rhizome. Au XIIIème siècle, pour améliorer l'offre, les Arabes l'importe en Afrique orientale. La quasi-totalité des noms du gingembre en Europe descendent du latin zingiber, zingiber qui donnera son nom à cette île où les musulmans cultivent la plante en Afrique : Zanzibar.

La médecine médéviale le tient pour préservateur de la peste et en fait la base de nombreuses préparations toniques, antiseptiques et aphrodisiaque. Bien que faisant l'objet d'une taxe à la vente du bas-empire romain au Moyen-Age, il est plus répandu car moins cher que le poivre : 8g d'argent les 100 grammes*. Au Moyen-Age, le gingembre roulé dans du miel fait partie des mets offerts aux convives à la fin de tout banquet.

A la Renaissance, les Espagnols importeront la culture du gingembre dans le Nouveau Monde. En 1589, Joseph de Acosta nous raconte que "Le gingembre fut apporté de l'Inde à l'île d'Hispañola, et s'est multiplié de telle sorte que l'on ne sait plus qu'en faire, tant il est vrai que la flotte de l'année 1587 en rapporta à Séville 22 053 quintaux". Dès lors, les cours du gingembre s'effondrent et sa consommation tombe en désuétude.

* soit environ dix euros au cours actuel de l'argent.

 

Le safran

Originaire d'Iran et du Cachemire, le safran est déjà utilisé par les Egyptiens dans le temple de Louxor. Il est introduit en Europe par les Berbères, lorsqu'ils s'établissent en Espagne en 960, où il devient un condiment indispensable à la cuisine. Mais c'est véritablement avec le retour des croisés, un siècle plus tard, que la culture de cette plante va s'étendre dans le bassin méditerranéen.

Il faut 300000 pistils de la fleur de crocus pour obtenir 500g de safran. Au Moyen-Age, son prix est 12 fois celui du gingembre, ce qui le rapproche de son équivalent en argent : 1g d'argent pour 1g de safran. Dès lors, l'épice est pesée sur des balances d'orfèvrerie et l'on prend soin de bien fermer les fenêtre afin que le vent ne fasse pas envoler la précieuse marchandise. Aujourd'hui encore, son mode de récolte en fait l'une des épices les plus chères.

Il colore presque toutes les recettes du Moyen-Age et une bonne infusion de safran est recommandée avant et après les banquets. Les Arabes l'utilisent en médecine pour ses propriétés anesthésiantes et antispasmodiques. Mais son pouvoir de coloration permet également de l'employer en teinturerie ou pour l'enluminure des manuscrits : c'est avec le safran que l'on éclaire l'auréole des Saints.

Contrairement aux autres épices, le monopole des musulmans sur les routes commerciales vers l'Asie ne vient pas altérer le prix du safran : à la fin du Moyen-Age, les bulbes de crocus sont cultivés de l'Italie à l'Angleterre, permettant la multiplication des safranières.

 

La girofle

De la girofle, on ne consomme que le bouton floral : le clou de girofle. Cette épice est connue en Europe depuis le début de l'ère chrétienne, mais son commerce régulier n'est assuré qu'à partir du VIIIème siècle par les Arabes : du golfe du Bengale et de la mer de Chine, elle est ramenée sur les marchés de Syrie et du Liban. Mais en Europe, son origine demeure inconnue : Marco Polo pensait qu'elle provenait du sud du Tibet et c'est Afonso de Albuquerque qui fut le premier Européen à en ramener des Moluques en 1511.

Au Moyen-Age, le clou de girofle est encore peu consommé, car très cher : son prix dépasse celui du poivre avec un cours à 200g d'or pour 100g de girofle au XIVème siècle. A Horbourg (Haut-Rhin), dans une sépulture mérovingienne, les archéologues ont retrouvé en 1991 une petite boîte en or contenant 2 clous de girofle comme offrande au sein d'une collection de riche mobilier funéraire, ce qui laisse penser qu'à cette époque déjà, ce présent comptait parmi les objets de grande valeur.

A la fin du Moyen-Age, il est utilisé pour la conservation des aliments. Sa forte odeur est appréciée pour parfumer les plats, mais aussi éloigner les insectes (mouches, fourmis, moustiques...).En médecine, on le tient pour la panacée contre tous les maux. Ses vertus antiseptiques et anesthésiantes sont utilisées pour soigner les plaies. Une orange toute piquée de girofle est censée éliminer tout risque de contagion, notamment protéger de la peste, pour celui qui la porte à la ceinture : c'est la "pomme d'ambre".

 

La muscade

La muscade n'existe à l'état sauvage que dans les îles Banda, dans les Moluques. C'est donc là qu'il faut rechercher l'origine de cette épice. Les Arabes commencent à l'importer d'Indonésie vers Constantinople au VIème siècle et y fond référence dans leurs manuscrit sous l'appellation "noix de banda". Dans le reste de l'Europe, ce sont les croisés qui la ramèneront dans leurs bagages au XIIème siècle. Elle est alors appelée noix "muguette", c'est à dire "musquée".

Au Moyen-Age, la muscade est surtout appréciée pour son parfum : on en brûle pour combattre les odeurs d'immondices provenant des rues et aussi pour soigner les bronchites. Lorsque l'Emprereur Henri VI se fait couronner 1190, on fait brûler dans Rome une importante quantité de muscade pour célébrer l'évènement, mais aussi assainir la ville. On la recommande parfois contre le scorbut. Comme cette épice peut également se comporter comme une drogue, elle tarde à faire son entrée en cuisine : l'abus de muscade nuit gravement à la santé !

Avec le poivre et la girofle, la muscade est l'une des épices les plus chères vendues dans les échoppes européenne : 40g d'or pour 100g d'épice au XIVème siècle. A cette époque, elle a alors conquis certains brasseurs et marchands de vins, qui n'hésitent pas à proposer des boissons parfumées à cette épice psychotrope.


Bibliographie & Internetographie

  • De l'or et des épices : Naissance de l'homme d'affaires au Moyen Age, Jean Favier, ed. Hachette, 2004


26/03/2011
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